Petit RP hors Nawakim pour toutes les Mamans!

L'éclosion de mon corps

Dans ce paisible bain chaud, je me prélasse depuis un temps si long à mon sens, que je ne pourrais le définir. Je me laisse aller aux plaisirs primaires dont la vie me laisse jouir, et m'abandonne aux largesses de cette omniprésente tendresse. Dans mon esprit, rien ne peut jamais perturber cette ataraxie qui m'habite, j'en rêve même. Je passe cette longue nuit à dormir, bercé par le doux pas de mon porteur.

Soudain tiré de ma langueur, je me sens poussé vers l'avant, non pas à l'encontre de ma volonté mais sans que je m'y attende. Au début attiré par le nouveau, entraîné par la curiosité, je me laisse aller au bon gré des contractions, venant même à participer à ce mouvement. Ces premiers pas aisés m'ébaudissent, mais dès la première embûche je me crispe. Non! pourquoi aller plus loin? Si le pourtour est certes doux, il se présente surtout comme étroit! La bienveillante chaleur ambiante de mon bain maternel me suit encore, mais le sentiment qu'elle me quittera prochainement me rattrape trop vivement. La peur envahit mes pensées pour la première fois de mon existence, cette peur de l'inconnu, cette peur de la vie elle-même.

La pression se relâche doucement. Le vrombissement sourd de l'extérieur à l'habitude si calme, prend de l'ampleur, je suis ballotté, cahoté, secoué, remué, pendant d'interminables minutes. Les idées sans dessus dessous, la paix revenue un instant, je doute. Ce doux petit monde qui m'a couvé jusqu'ici me rejette-t-il? Pourquoi? Que se passe-t-il? Je ne puis saisir. Qu'ai-je fait pour qu'il me veuille sortir?

Rien. Je n'ai rien fait pour ce monde. Mais à présent, je vais faire quelque chose pour lui. S'il me demande d'avancer, j'avancerai en reconnaissance de ce qu'il a fait jusqu'à présent pour ma pauvre personne.

De nouvelles secousses perturbent mes résolutions. Mais la confiance que j'ai placée en lui restera. Les parois recommencent doucement à m'accompagner vers le renouveau. Je les suis. Je sens en elles cet amour qui m'entraîne de l'avant. Des pieds, je tente un appui, pose la tête à l'entrée du tunnel, et pousse. Je suis heureux, heureux de ce premier pas, heureux de l'avoir aidé, heureux d'avoir été actif, heureux d'avoir vécu.

Soudain, un puissant son me traverse, il transperce ce monde de mes entrailles jusqu'en ma cervelle, détruisant un dernier germe de volonté paresseuse. Les parois du passage s'écartent devant moi alors que celles de mon monde se referment derrière. Je réunis le peu de force que je possède, ma volonté et celle de mon hôte, dans une jambe et engouffre mes yeux, mon nez, puis les oreilles jusqu'au menton, dans le chemin qui mène à la vie. Frustré d'avoir été gêné par ces épaules, je les glisse gentiment l'une après l'autre, tortillant des hanches jusqu'au cou, roulant aussi bien que je peux mes articulations chétives. De quelle joie cette nouvelle expérience m'abreuva! Un nouveau cri passa. Cette fois il fut pour moi un hurlement de saine rage, de volonté pure, d'ambition épurée de tout doute. Les parois se referment encore, offrant d'osés appuis accompagnant ma progression.

J'ai les pieds maintenant dans le tunnel, la progression se fait fastidieuse, mais l'adjuvant indispensable qu'est devenu mon environnement continue à forcer ma volonté. Dans un ultime effort, fruit de l'union de ma volonté et celle de mon monde, j'aperçois pour un première fois de la lumière.
Comme ivre, émerveillé de cette découverte, je lutte contre mon corps paresseusement las de ces efforts. Je sens en moi grandir de nouvelles impressions. J'ose pour la première fois apercevoir une infinitésimale fraction de ce que peut être le monde vrai. J'imagine, me projette dans les innombrables possibilités de mes capacités et de ce que je pourrai en faire. Tout juste séduit par des perspectives d'un avenir prometteur, je réalise que rien ne sera jamais simplement beau, mais que les incommodités rythment les gestes de la vie. Une impression désagréable que ces passages viendront me tirer de mes jours heureux. Et avec quelle ironie, cette prise de conscience est le premier des actes par lequel je me rends compte de l'existence dans cette nouvelle vue sur la vie.

Quelle horreur m'emporte alors. J'étais folâtre à l'idée de me lancer tête la première dans une aventure semée d'embûches que je ne veux imaginer! J'étais excité à l'idée de plonger dans cette eau sombre, où les malheurs se terrent jusque dans les entrailles de la pensée individuelle! Quelle idée d'explorer un univers constellé de si sombres perversités. Transi par ces premières réflexions, je transporte mes sens vers l'affectueuse douceur omniprésente au sein même de ma génitrice. Je me blottis de plus belle et savoure ces instants, car je sais maintenant qu'ils ne seront plus jamais. Dans un moment d'émulation sensée, je joins finalement ma lutte à l'obligeante vague qui entraîne mes flancs.
Je sens mon crâne sortir de la bulle protectrice, encore pressé de tous cotés, j'écarte d'un mouvement de tête le sexe de ma mère afin de sortir mon petit nez, mes lèvres roses et ma mâchoire crispe. Je sens un autre être au-dessus de moi. Ses longs doigts lestes courent le long de ma jeune tête moite, et d'une faible poussée, libèrent mes oreilles.

Le choc est presque violent. La douce musique qui berçait mes belles heures s'est enfuie à l'entrée fracassante de ce salmigondis incohérent de sonorités inconnues. Comble de l'horreur, la sècheresse d'ici m'amène à décoller mécaniquement mes paupières. La lumière avant si délicieusement attrayante me perfore de part en part. Je comprends que je peux voir mais ne peux encore rien saisir. Les vagues ombres que je distingue apportent plus de questions que de réponses. Plus déstabilisé que rassuré du peu que j'ai entrevu du monde, je préfère m'en couper provisoirement pendant que la bonne-âme là-haut finit de m'extraire de ma mère.

A peine un temps de répit envisagé, que la réalité me rattrape à nouveau. Certains disent que Dieu insuffle la vie en l'homme. Personnellement, je n'en sais rien. Mais si c'est le cas, il a le souffle chaud. Brûlé à vif de l'intérieur, déchiré au niveau de mon cœur, c'est avec amertume que je savoure cette première bouffée d'air que je me dois d'accepter. C'est un air tranchant, vif. Je le vois malivole. Il s'engouffre sans retenue, sans pudeur, en mes narines encore innocentes, jetant un froid sur les nouvelles odeurs qu'elles se tâtaient à explorer. Ma gorge forcée par ce fragment de monde extérieur, il plonge au plus profond de moi même, sans souci de décence. La douleur est vive. Le viol est flagrant. Je tente de l'exprimer, mais alors sort à ma grande surprise de la bouche, un horrible son incommode, ne correspondant pas du tout à ce que je souhaiterais dénoncer. Vexé, je tente à nouveau ma chance sans obtenir quelconque résultat. Je surprends, contre toute attente une goutte, puis une autre, rouler dans le creux d'une pommette. Je m'en satisferai. Avec confusion, je réalise que ce souffle, sous ces airs de vandale malotru, me permet de vivre. Quel désarroi!

Tout penaud, je m'efforce d'accorder mes idées. Je découvre mes pieds désormais libre. Je tente de les coordonner mais le résultat est déplorable. Je sens quelque chose pendre de ma panse. On m'a séparé de ma mère.
Je n'en reviens pas. Je ne l'ai pas senti. Affolé, je pleure de plus belle. Mes pensées s'embrouillent, s'emmêlent. Je ne sais plus où donner de la tête. Je m'affole. On me ballotte à nouveau. Je tente de voir mais m'aveugle, mes oreilles distinguent cependant une belle voix douce, une voix rassurante. Je veux ma mère. Je veux que l'on me laisse en paix. J'ai besoin de paix.

J'entends ma mère de plus en plus proche. Ses doigts viennent effleurer avec amour mon corps. Je les sens qui s'étendent de mes côtés jusque dans mon dos, m'entourant d'un filet protecteur. Elle me pose contre elle et alors du bout des lèvres je sens un doux mamelon comme durci car trop plein. Je pince tendrement ce téton maternel, et tire délicatement sur ce présent qu'elle m'offre. Gentiment je prends confiance et me laisse aller à ce premier plaisir. Je découvre la délicatesse de la nourriture, quel bien! J'en voudrais plus, car je me sens déjà grandi! Je suçote sagement mais avec fermeté. J'ai compris à présent que toute nourriture est bonne. Elle me forme pour plus tard, me fait croître. Grâce à elle, je deviendrai véritablement un être humain à part entière.

J'assiste à l'éclosion de mon corps.