Derrière les reflets dorés...

Musique

Debout au milieu d'un champs de blé, reflets d'or jusqu'à l'horizon, sertie de rubis en lieu et places des nombreux coquelicots, le vent agite la masse ambrée en y dessinant des sillons valsant de droites à gauches.
Une caresse sur ma main, légère et délicate, en quelques points qui se déplacent et chatouillent mon derme. Cela aurait pu être les fleurs de blé que j'effleure de mes paumes et de mes doigts, mais cette sensation touchait le dos de ma main... Une sensation agréable mais fugace...
D'un seul geste, je tourne la main et la referme sur cette petite chose, des petites chatouilles se font ressortir sur mes doigts et ma paume, courte mais fréquente, j'ouvre la main, et tout s'arrête...
Le temps de détourner les yeux, et un papillon d'un bleu étincelant, clair comme l'eau de mer s'envole...

J'entame une course à sa poursuite, tout droit au milieu des blés.
Au bord du champs, un vieillard agite les bras, sa canne à la main, puis il se met à courir lui aussi. Je n'entend pas ce qu'il dit, peu importe.
Le papillon a quitté ma vue, mais je cours encore, à la poursuite des sillons cette fois.
Je ferme les yeux et j'essaye de suivre le vent...
Mais le champs prend fin, laissant place à un bourg, des rues, des gens, un sol de pierre gris et froid...
Je m'en aperçois bien tard et je percute de plein fouet une jeune fille, légèrement bossue, d'une laideur quasi irréelle, une larme coule sur sa joue, une goutte de sang au bas de sa robe déchirée...
Elle portait des sceaux d'eau au bout d'un bâton, l'un d'eux s'est renversé sur moi, l'autre a eu plus de chance et ne s'est que peu vidé.
Je suis trempée, mais le soleil lentement me sèchera.

Mon rire s'est aussi subitement arrêté, comme mon sourire est parti. Je recule de quelques pas, m'excuse et continue mon chemin, les yeux grands ouverts, observant ces lieux inconnus.
La rue pleine de monde débouche sur une grande place nauséabonde. Elle est tout aussi bondée, bruyante. Des gens dansent au son de la musique, d'autres crient, d'autres supplient.
Tout ce bruit, c'est insupportable.
Tous ces gens, assis dans leur misère, j'évite les mains qui se tendent vers moi, ceux des mendiants, des affamés, des cul-de-jattes, demandant l'aumône. Je fuis leur regard, lançant timidement quelques « Je n'ai rien sur moi, je n'ai pas d'argent ».
Un vieillard, frêle sur sa canne, m'attrape fermement le bras et m'annonce de sa voix nasillarde et tremblante :
« Bienvenue à la cours des Miracles, chériiiiiiie »
Je reprend mon bras et accélère mon pas pour m'en éloigner...
Je croise un nouveau regard, une dame cette fois, la tête colorié, un gros point noire sur la joue, les seins qui débordent d'une robe très courte, elle me regarde, sourit d'un air narquois puis rigole de sa voix rauque et usée tout en continuant son chemin...
Et il y a cet homme là qui passe à côté de moi avec un air bizarre, souriant lui aussi... J'ai senti quelque chose sur ma hanche, une sensation furtive, mais je n'ai rien vu, l'homme s'éloigne tout en me regardant, je fronce les sourcils, il me fait un clin d'œil, je détourne le regard...
Je n'aime pas cet endroit, je n'aime pas ces gens.

Je n'aime vraiment pas cet endroit...
Tous ces bruits, tous ces cris, toute cette misère, tous ces gens, entre ceux aux regards bizarres, ceux qui se moquent de moi, ceux qui passent et regardent les miséreux en rigolant tout en balançant leurs pièces dorées à tout va.
« Bienvenue au musée des horreurs, au cirque des monstres. » s'amusent-ils à dire. « Et vous l'avez vu celui-là ? Et celui-ci ? »
Le malheur et la différences sont devenus des spectacles

Vraiment, je déteste les gens, je ne supporte pas qu'ils me touchent, qu'ils me regardent ou bien qu'ils débitent leur paroles si abjectes et insensées. Je regrette mon champs de blé, qui d'ailleurs vu d'ici paraissait bien fade, le soleil sans doute, devait s'être caché derrière un nuage à ce moment là.
Et à nouveau cette sensation sur ma main, délicate, légère, elle fut agréable, elle ne l'est plus. Le papillon est là, il n'est pas si bleu en fin de compte, plutôt saphir mais dans un ton terne, il me fait mal... me piquerait-il la main ? Pourtant j'aurais cru de telles bêtes inoffensives...

J'agite ma main pour qu'il s'envole, je couvre mes oreilles pour ne plus les entendre, et à mon tour je cris, pas trop fort surtout, et je cours, je cours jusqu'à un coin de la place avant de m'effondrer entre deux murs, aussi loin que possible de quelques personnes, aussi seule que possible, la tête dans les genoux, les bras sur la tête, recroquevillée sur moi... effrayée...
Je pleurs...

Un jour comme un autre, un de plus qui courre entre les nuages et les éclaircies du temps.
Je vais de vagues en rades, je ris un peu quand je vois cette fille au teint perdu, aux joues si roses qu’elle devient vite la cerise sur le gâteau de cette matinée ordinaire, trop ordinaire pour que je m’y amuse. Le larcin est menu, maigre retour de bâton pour un voleur à l’habit de mendicités et de vols à la douce peau d’un dessous farfouillé sans qu’on y surprenne la main habile.

J’observe un instant celle qui tente désespérément de se perdre dans la foule, mais ici pour s’y fondre et ne plus apparaître sous un visage apeuré, il faut connaître les us et coutumes, les vices et la survie qui en dépend.
Je grimpe habitué, sur des caisses empilées, promontoire de fortune, je m’invente des scénarios sur elle, celle qui courre à nouveau pour rejoindre la ruelle.
Grave erreur, les ruelles ne sont pas plus sur que la foule, de vrais coupe-gorge quand on y va seul et sans arme.

Je saute, pieds sur le pavé crasseux, un signe de tête, un regard échangé avec un autre, un frère de la cour des miracles, et un signe de la main vers elle, ma sœur d’amitié, toujours dans la discrétion, un code entre nous, code d’honneur, le nôtre, et il vaut ce qu’il vaut, mais celui qui l’entend sait, ce qu’il doit faire.
Le ralliement est lancé, le gibier à porté de main.

Cette femme qui a peur m’intrigue, ce sera sa bourse ou.. nous verrons bien !

Nous approchons, nous les naufragés, les boit-sans-soif, les récifs des temps échoués, les moins que rien, apôtres des bourses et des sangs de vigne, nous sommes la cour des miracles, des gens de peu de biens, voleurs du bien d’autrui, nous approchons, cernons et alpaguons notre victime.

Elle se sauve, elle court et s’enfonce dans une ruelle.
Course vaine, nous sommes partout et partout est à nous, la rue nous appartient, elle est notre royaume.

Je cours et saisie la main de Marquise pour l’entraîner vers elle, celle qui s’arrête près de ce mendiant, un de chez nous lui aussi, mime des accidents de la vie.

Relèves-toi mon bon ami, il n’est plus temps de faire semblant, mais de soulager les bourses !

Et il se relève !

Allelouilla mes frères !

Entourée, cernée, elle est à notre merci.
Je l’observe un instant, Marquise accrochée à mon torse, je lui vole un baisé gourmant, goûtant la salive au sucre confiseur.

Qu’allons-nous faire de toi, petite égarée..

Qu’on la fouille !

Fouille ma chemise Marquise, tes mains sont habiles et de soies, cruelles du bout des ongles.
Griffes, mais pas trop fort… pas trop fort, Marquise.

(...)

Que fait-il… il se coupe..

« Ark, as-tu perdu la tête pour entamer ta chair ! »

Montrant du doigt la femme..

« Magie ! De la magie qui trompe ! Subterfuge, les faux miracles sont notre terrain pas le tien ! »

Penchant mon visage au dessus d'elle, évanouie..

« Ne triches pas petite sotte… je sais que tu fais semblant, tu joues un jeu qui est nôtre ! Relèves-toi ! »

Je me redresse, et attrape un boiteux, un de ceux qui ne fait pas semblant, celui là a du prendre une pointe de fer dans le genou, il boitille et trébuche à chacun de ses pas.
Je le tire sans ménagement et l’amène jusqu’à la femme allongée.

« Relèves-toi et soignes si tu le peux !
Mais.. s’il boite encore après ta magie de foire, tu seras livrée au pire de la cour des miracles, la boue et la fange seront ta paillasse et tu serviras le vin au Kenuky ! »

Le boiteux s’écroule à genoux près de la femme, moi je rejoins Marquise, ma reine des nuits de chine, mon Alice merveilleuse au mille talents, princesse par-ci, exquise des mille et une nuit toujours.

Marquise somptueuse, elle est l’essence des sens, les miens sont jouets entre ses talents, elle le sait, elle en joue et affirme sa propriété. Elle se colle contre mon ventre, mes mains suivent sa danse et imperceptiblement se posent sur son ventre, enlacent ce territoire de douceur qui est le mien.
Puis, elle s’éloigne, elle veut jouer avec notre victime, en faire son jouet ; elle aime jouer et faire ce qu’elle veut comme elle veut, elle peut être Angélique ou démone, quel visage adoptera t-elle en ce jour faste.

Mais l’une des nôtres interrompt la danse macabre de Marquise de jeux et de vices, elle aussi aime à jouer, plus cruelle peut-être.. Son cœur est sombre comme la nuit, elle est l’ombre tapie, celle qui observe et voit ce que nous ne voyons pas.
Elle est notre dos tourné.

"Plus tard, Marquise, plus tard…"

Cette femme m’intrigue, elle a soigné les blessures, et celui qui boitait marche maintenant, comme un jouvenceau.
Je n’ai plus envie de rire d’elle, plus envie de fouiller ses poches.
Je veux comprendre…

Qu’on l’emmène dans notre cour !

"Prends mon bras soigneuse, tu verras je peux être un prince à mes heures.
Tes talents t’ont sauvé, pour l’instant..
Mais, si tu nous as menti, abusée, alors tu seras un jouet, le jouet des dames de la cour des miracles !"

Rentrons chez nous, rentrons dans la cour des miracles, ce soir, nous allons faire la fête !

Appuyée à ma colonne, j’halète. J’ai essayé de les suivre. Je voulais moi aussi épier cette frêle proie. Je lui aurai gaiement arraché les oreilles. Juste pour le plaisir. Parce que ça tête ne me revient pas. Mais sur mon chemin, je suis tombé sur cet elfe, que j’enverrai sans regret en exil sur une île lointaine, très lointaine. Il m’a suivi, me montrant de son sourire insupportable que quand je cours, il marche. Et quand on a longé la façade de l’auberge mitée, il m’a soulevée, et m’a pendue par le col à la pancarte.

Je suis restée là, balançant des pieds, avec pour seule compagnie les railleries des gamins sur mes trousses boueuses. Et enfin, quelqu’un m’a aidé à descendre. D’un coup de bâton, il a fait céder mon col, qui ne demandait qu’à se déchirer, épuisé de soutenir un tel poids. Ceux là, je les ouvrirai bien d’un coup de hache.


Je les aperçois à l’angle de la ruelle. Ils reviennent de leur chasse. Bande de voleurs au maigre butin. Quand comprendrez-vous qu’il faut frapper de la hache dans le dos avant de fouiller dans les poches ? Ainsi, on est certain de ne rien y laisser. Waywrine, toi, tu devrais me comprendre. Mais tu es trop jeune encore, et le grand dadais a bien plus de charme que moi, donc tu l’as suivi à lui. Pourtant, toi aussi tu préfères le contact de la lame à celle d’une poche trouée. Un jour, tu comprendras…


Ils ramènent leur trophée. La Marquise ouvre le bal, se récoltant tous les regards comme à l’habitude. Et ils vont certainement passer devant moi sans me voir. Ou ils me feront l’honneur d’une tape sur la tête, ou d’un croche-pied. Je les déteste, eux que j’aime. Et quand le soleil sera couché, ce sera pire.