Les mots coincés dans le sablier

Un goût amer dans la bouche ce goût qui brûle les papilles et empêche la machine à aimer de faire son travail, de mener à bien la salive qui devrait couler et nourrir la machine, mais la sottise plus forte a joué les grains de sable dans ses rouages, et la gorge serrée je lèche une larme qui vient s’écrouler sur ma lèvre. Saline, elle achemine avec elle toute la bêtise qu’un homme peut croire juste.
Jugement faux, valeurs trompées, l’erreur est humaine mais son prix si lourd à avaler.

Elle ne passe pas, elle reste coincée elle-aussi dans ma gorge serrée et douloureuse, tellement douloureuse qu’un sanglot expire une rumeur d’amitié, celle que je viens de salir.

Je reste sans bouger, je regarde au loin, je fixe devant moi
Rien, je ne vois rien, plus rien.

Les mots pleurent dans ma tête, mon esprit s’embrume d’avoir choisi les mauvais, ces mots qui font mal au lieu de saisir la main au vol et d’emporter celle qui les recueille, dans une danse farandole, danse heureuse et gaie, loin des tristes mots et des verbes accusateurs.
Les armes sans bras pour les brandir et frapper, frapper si fort que celui qui les reçoit ne tombe pas, non, il ne tombe pas, il s’effondre d’une douleur sans plaie béante, sans le sang des justes pour maculer un vêtement d’innocence.
Les mots qui blessent et font si mal
Les mots qui font sourire
Un choix difficile, le choix des mots pour les maux.

Je me souviens de sa folie, de ses premiers mots à elle, des mots de rire et qui font sourire, des mots verts et des mots bleus, mais ces derniers elle me les a raconté plus tard.
J’ai ri de sa folie subtile, de son allure furieuse, de sa verve étourdissante.
J’ai recouvert des lits de mots, quand son sourire a perdu la foi pour se tourner vers des couleurs au passé sombre, et j’ai aimé ses mots caressants toujours au bon moment, celui qu’on attend plus, ce moment rare et précieux que chacun espère en vain.

Pour moi, tu es venue et m’as apporté ces mots qu’on attend plus.

Aujourd’hui, ma main a fourché
J’ai oublié tes mots et j’ai pris les miens, ceux qui se trompent et font croire qu’on a raison, que la bonne raison est forcément dans le choix de ces mots.
Mots assassins, mots de peu et pour eux, j’ai frappé l’amitié de plein fouet.
J’ai fait valser les souvenirs dans le miroir aux alouettes.
J’ai refait la décoration sans voir, sans croire, aveugle, idiot, la stupidité vice et tricheuse a pris ma main pour frapper celle qui est ma sœur, un morceau de cœur, le mien.

Ma main tremble sur ma joue pour effacer la honte de cette larme qui ne te mérite pas.
Je voudrais chasser le temps, revenir sur ses pas, refaire le chemin à l’envers, d’un pas à l’autre, à reculons, corriger ma copie, abîmer le verbe râpeux, redorer le blason à l’encre sympathique et gommer, effacer ces mots indigestes avec qui je m’accommode parfois avec tant de facilité.

Le sablier du temps renversé, posé sur l’envers d’un décor que je déteste maintenant, je pourrais reprendre mon cahier d’écolier, ma plume rieuse et écrire une histoire qui raconte que tu es belle, pas comme les autres le voient, mais comme moi je sais que tu l’es et que j’ai oublié de l’autre coté du sablier.
Je redessinerais les phrases avec ces couleurs qui te vont si bien, ce vert habile et chaleureux, celui que tu utilises pour rendre un sourire égaré à celui qui pleure et qui se terre écrasé par une peine.
Je te raconterais l’histoire de cet imbécile qui s’est trompé de mots, persuadé d’avoir raison.
Je te parlerais de lui, de sa peine d’avoir choisi de rester sourd, d’être aveugle devant la vérité et de n’avoir su voir que ce qui le rassurait.

Et si tu souries, si ton regard me renvoie l’idée que je me fais de moi, lorsque le sablier s’inverse, alors, je te raconterais comment on peut faire du caramel sans cramer le fond de la casserole.
Je te montrerais que celui qui fuit son reflet dans le miroir et qui refuse d’apprendre à remonter le temps, est un crétin et qu’il faut en rire et s’en moquer, et on rira tous les deux, on rira de ce ridicule petit bonhomme triste et amer, qui a du mal à avaler sa salive.

Regarde, regarde comme il est moche
Regarde, petite sœur, il pleure
Maintenant.

Que fait-elle, cette main, sur ta joue? Qu'essaie t'elle de cacher?

Baisse ton bras, il est trop haut pour moi. De si bas, je ne pourrai pas t'atteindre. Et ne fais pas semblant de ne pas me voir. Baisse-toi tout entier. Rejoins moi près de la terre. Tu n'as pas le droit de rester hors de ma portée, je veux que tu plies les genoux, sans courber l'échine. Et quand elle saisira la tien, ma main te fera légèrement tourner la tête. Tu ne me cacheras pas cette perle en me fuyant du regard. Mes yeux t'appellent, ne les laissent pas seuls. Ils sont orphelins sans les tiens.

Ta main n'est elle pas mieux dans la mienne? Dis moi qu'elles sont faites l'une pour l'autre, sorties de deux moules si différents, et pourtant. Pourtant. Que celui qui pense que nous formons un couple de foire vienne m'affronter, je leur ferai comprendre qu'une femme et un homme peuvent être bien plus. Je les méprise déjà, ceux là, les mal-pensant. Tu sens la chaleur de ma main? Laisse la t'envahir, ne la réprime pas.

Bientôt, quand tes prunelles n'auront plus peur de ce qu'elles pourraient percevoir de mon âme, je pourrai sourire. Et mes lèvres pourront s'occuper de la goutte de tristesse. Je la connais, ses sœurs ont jouer le même spectacle. Mais rassure toi, si elles ont troublé mon regard, elles n'ont pas entamé ma vision intérieure.

Laisse tes yeux plongés dans les miens. Ne les regardent pas, ceux qui espèrent apercevoir le moindre dérapage. Non, ma bouche ne rejoindra pas la tienne. Jamais. Sa place est sur ta joue. Et la colère qui m'inonde parfois ne sera jamais tournée contre toi. Ce serait contre nature. Tu vois, comme nos regards se trouvent?

Il ne reste qu'une petite trace au sol de cette épreuve qu'il nous fallait traverser. De temps en temps, on la regardera, en silence ou en mot. Mais pas en maux. On en rira, on en pleurera. Qu'importe, on en sort plus fort, indemne. Peut être même plus proche.

Viens, grand frère, oublie ce satané sablier, je le renverserai du pied pour toi, pour que le temps passé s'envole au gré du vent si tu me le demandes. De la poudre aux yeux, car il se reformera bien vite. Et alors? Les moments de bonheur, même fugaces, je t'en offrirai autant que possible. Et si tu dois courir sur la route du destin, ne me lâche pas la main. Ou laisse quelques cailloux blancs pour marquer ta direction, que je t'y rejoigne, toi l'impatient. Il est trop tard, de toute façon, pour faire marche arrière. Alors allons y, ensemble, vers ce qui nous attend.

Garde ma main dans la tienne. Tu la mérites. Regarde mon sourire, il veut être accompagné du tien, sinon il se sent seul. Viens, on va chercher ton petit frère. Je resterai au milieu, une main dans chacune des vôtres. Sans me mettre entre vous. Et on fera la ronde. D'autres voudront nous rejoindre, enviant notre amitié si pure. Nous en laisserons peut être entrer quelques uns, pour un tour ou deux.

Et je serai heureuse.