Vers le milieu de la nuit, une longue silhouette s’approcha silencieusement de l’hostellerie jouxtant l’oratoire politique. Elle était drapée dans une longue cape qui semblait attirer à elle l’ombre des bâtiments. L’inconnu affronta la lumière de la lanterne pour franchir sans bruit la porte de l’auberge. Son visage était caché sous un masque qui laissait cependant dépasser deux longues oreilles pointues. Se faufilant entre les tables il prit garde à ne pas réveiller les ivrognes qui s’étaient écroulés là. Il emprunta l’escalier. Son pas léger ne faisait miraculeusement grincer aucune marche. A l’étage, l’Elfe masqué crocheta laborieusement la serrure d’une porte devant laquelle deux canards avinés sans doute sensés monter la garde dormaient profondément en émettant des borborygmes pitoyables. Après avoir refermé derrière lui, il s’avança vers le lit où une jeune Elfe venait d’ouvrir les yeux. Elle ne semblait nullement effarouchée et se contentait de tirer pudiquement le drap sur elle. Elle avait donc bien, selon ses plans, été prévenue de sa visite nocturne.
Je viens vers vous, Dame Perle, afin de vous conter une histoire…
Il me semble judicieux de vous éclairer sur les coutumes naines et aussi de vous narrer le récit des aventures d’un jeune nain.
Vous comprendrez mieux lorsque vous m’aurez écouté.
Avez-vous eu un jour, gente dame, l’occasion de voir une femme naine ? C’est fort peu probable, en voir une est tellement rare que certains disent que les nains naissent en sortant de la pierre et qu’il n’y a pas de femmes naines. J’ai eu pour ma part l’occasion d’en apercevoir, et elles diffèrent peu des nains, si ce n’est que leur barbe est moins drue, et leurs formes plus rebondies (HRP : si si ! c’est possible !). Et bien c’est à cause d’une épouse naine bien particulière que je me trouve ici devant vous.
Je vous raconte donc mon histoire…
Il y a fort longtemps, fringant jeune elfe alors, mes aventures m’avaient amené à fréquenter, puis avec le temps, à apprendre à apprécier une troupe de jeunes guerriers nains. Les années et les aventures passant, nous en étions même venus à nous considérer comme des véritables amis. A de multiples reprises, il me fut donné de pénétrer dans une de leurs forteresses. J’ai ainsi pu découvrir leur hospitalité, leurs coutumes, leur culture et leur art « brute ». Mais jamais je ne voyais de femme naine, et lorsqu’un jour je demandai à mes compagnons où elles se trouvaient et si elles existaient vraiment, leurs regards réprobateurs me firent comprendre que j’avais sans doute enfreint un tabou… Aussi, je fus fort surpris lorsqu’à l’occasion d’une autre visite, un de mes compagnons me pria de le suivre pour me conduire auprès de l’épouse de notre hôte, le maître des lieux Barr Finn Oakenshield . Elle voulait, je le cite, parler les mots elfes avec moi… Je tombais des nues lorsque je la vis, jamais je n’avais pu admirer tant de grâce et de féminité chez une elfe. Car c’en était une, vous l’aviez deviné.
Kakoudelle, c’était son nom, avait épousé le grand Barr Find par amour, et ne regrettait rien. Je n’ai jamais osé lui demandé comment avait eu lieu l’improbable première rencontre entre eux, et je me le demande encore tant en les terres du milieu, les elfes et les nains se fréquentent peu. La compagnie des Elfes lui manquait cependant, et chacune de mes visite en la forteresse naine était agrémentée d’un entretien avec elle. C’est à une de ces occasions que, me trompant de porte dans une des innombrables galeries, j’ouvris le battant sur qui semblait être une pièce réservée au brassage de la bière. Toutes les personnes qui s’affairaient là étaient des naines. Sans doute cette activité non quotidienne les avait éloignées de leurs quartiers si bien gardés et l’on se défiait si peu de moi que l’on n’avait pas imaginé que la coïncidence puisse se produire. Avant de refermer prestement la porte en bredouillant des excuses sous les cris effarés et les insultes en Küdük de ces dames, j’eu le temps d’en dénombrer une douzaine telles que je vous les ai sommairement décrites. L’une d’entre elles, montée dans une cuve, foulait aux pieds ce qui semblait être de l’orge mis à macérer. Sa robe, relevée pour la tâche, laissait voir des jambes torses et duveteuses… Cette bien fugitive vision, fort peu érotique pour un Elfe je vous assure, me valut pourtant le mépris de mes amis nains et aussi d’être chassé sans ménagement du Krak (c’est ainsi qu’ils appellent leur forteresse) lorsque le souverain à la longue barbe en fut informé.
Mais je m’égare là… me replonger en mes souvenirs m’incite à la rêverie et je doute que vous appréciez de telles cocasseries. De plus ce n’est pas ce qui m’amène ici ma Dame. Nous devisions donc régulièrement Kakoudelle et moi, nous contant des histoires du pays, récitant des poèmes d’amour elfiques en nous accompagnant mutuellement de la flûte et du luth… elle était si belle…et si douce… mais je m’égare encore… Voilà :
Son union avec Barr Find avait été bénie par la naissance d’un garçon. Malchanceux, le métis avait hérité de la petite taille de son père ainsi que de la finesse corporelle et des traits de sa mère. Il aurait pu en être le contraire, c’eut été plus heureux pour lui…Ses caractéristiques étaient si ridicules au regard nain qu’il fut baptisé Karakounet. Son père, le grand Barr Find Oakenshield, très longue était sa barbe, s’en désintéressa complètement et laissa, contrairement aux usages, les femmes s’occuper de son éducation. Ainsi le petit Karakounet apprit à rôtir les viandes, brasser la bière, repriser les chausses et réciter des poèmes avec sa mère alors que les jeunes nains de son age passaient leur temps à apprendre le maniement du piolet de mine, de la hache de guerre et autres arbalètes. Et pendant quelques années tout se passa bien comme cela sans que personne ne s’en plaigne. Karakounet grandissait avec les autres filles du krak. Ses membres restaient désespérément fins au regard de ceux de ses cousines et il n’était pas rare qu’elles le callotent proprement lorsque son caractère capricieux les indisposait. Il arriva qu’un jour que la coupe de l’une d’elle était pleine de l’attitude de petit chef de Karakounet, elle lui demanda : « Pourquoi veux-tu toujours commander même à tes aînées ? »
« Parce que je suis un garçon-nain et que c’est comme ça et tu ne peux rien y changer. » répondit-il.
« Tu es peut-être un garçon mais sans doute pas un garçon-nain sinon tu irais toi aussi à la chasse aux gobelins demain ! » s’entendit-il répliquer.
« C’est demain ? » répondit-il ahuri
« Tu vois, personne ne t’as mis au courant…tu vas rester avec les filles ! »
Il me faut vous dire, gente Dame Perle que « la chasse aux gobelins » est une sorte de rite initiatique réservé aux jeunes nains pour accéder à l’âge adulte. Aucuns de ces jeunes gens ne voudrait la manquer, passer pour un couard devant ses pairs et ne pas se voir remettre solennellement, par son aïeul mâle le plus âgé, sa première hache de bataille. Voici en deux mots comment cela se passe. Les nains, au fur et à mesure des escarmouches les opposant aux gobelins en capturent et en entretiennent quelques uns dans des geôles insalubres. Lorsqu’à l’anniversaire de la bataille de Rahat Lüküm où Thorïn Oakenshield, l’aïeul de Barr Finn, décapita d’un seul coup de hache le grand roi gobelin, le redoutable Krakoss, qui était fort comme un troll… mais je m’égare encore… A cette occasion donc, les gobelins captifs sont sommairement armés et relâchés au plus profond de la mine. Ensuite les jeunes prétendants nains qu’on appelle duveteux, se lancent à leur poursuite, le but étant d’en occire le maximum. Les duveteux survivants sont appelés guerriers-duvet. Celui qui ramène le plus de têtes gobelines se voit nommer, à l’occasion du banquet qui suit l’initiation, du titre de guerrier-barbu réservé en principe aux guerriers aillant participé à de vraies batailles, et remettre par le nain portant la plus grande barbe de la forteresse, honneur entre les honneurs, la célèbre hache Kibütt, ayant pourfendu le roi Krakoss.
Voilà, je devais faire cette parenthèse, ma chère dame, pour que vous imaginiez à quel point cette chasse aux gobelins est importante pour les jeunes gens nains. Karakounet, pourtant cantonné avec la gent féminine, était persuadé de se voir remettre la glorieuse hache. Il savourait à l’avance ce moment où il pourrait enfin attirer l’attention de son père et festoyer à ses côtés lors du banquet de la Barbe. Abasourdi, par l’annonce de sa cousine, il ne comprenait pas que son père ne soit pas venu lui remettre sa hachette de duveteux pour la chasse aux gobelins comme le veut la coutume.
Le grand Barr Finn, malgré la requête de son épouse, n’avait pas jugé son fils digne de participer à l’épreuve :
« Les dieux ont été bien cruels avec moi. Qui voudrait d’un pareil fils. Il aurait pu hériter de ma force de caractère et de ma large ossature… de votre côté il aurait pu prendre la haute taille ainsi que la légendaire adresse des Elfes… quel grand guerrier cela aurait pu être ! Les dieux sont injustes, je ne mérite pas tel châtiment… Il vaut mieux qu’il reste avec les femmes.» déclara-t-il à son épouse.
« Je puis vous assurer, mon vénérable époux, que si son squelette ne s’est pas encore développé, son caractère n’a rien à envier au vôtre. Il n’est pas très fort, ni très entraîné au maniement des armes certes… mais ne peut-il venir à bout quand même de quelques gobelins affaiblis comme les autres jeunes gens de son âge? »
« Il suffit femme ! Pour être duveteux il faut avoir du duvet ! Je ne veux pas qu’il me ridiculise !»
Après son altercation avec sa cousine Karakounet fila tambouriner à la porte des appartements de sa mère. Invité moi-même pour la pour la célébration de la fête de la Barbe, je venais d’arriver dans la forteresse et me trouvais également en les appartements de Dame Kakoudelle où jeeeuuuh……m’étais empressé d’aller euh…rendre hommage à sa grande beauté. J’ai donc assisté à l’entretien entre Karakounet et sa mère et je puis vous le narrer dans le détail.
Elle s’attendait à sa venue, et l’appréhendait… Cela faisait quelques temps que je n’avais vu le jeune semi-nain. Il ressemblait d’ailleurs plus à un demi-elfe : un jeune adolescent elfe dont la taille aurait été réduite de moitié…
« Mère ! C’est demain la chasse aux gobelins. Pourquoi n’ai-je pas encore reçu des mains de père ma hachette de duveteux ? » demanda-t-il de son ton d’enfant gâté habituel.
« Ne blâmez point votre père mon enfant. Je lui ai demandé de vous tenir éloigné de cette vilaine cérémonie. J’ai bien trop peur qu’il vous soit fait du mal. Et puis vous en êtes dispensé puisque vous n’êtes qu’à moitié nain. Vous pouvez avantageusement choisir un rite elfe, par exemple pour devenir barde il vous suffira de soumettre un poème à l’oreille de votre souverain et de recueillir son approbation… »
« MAIS JE VEUX ETRE UN GUERRIEEEEEEEER ! » hurla-t-il
« Je n’ai que faire de vos divertissements d’elfes efféminés ! »
JBAFFF !
La gifle de la mère au fils abrégea l’entretien. Le jeune Karakounet, rouge de colère et d’indignation sortit en annonçant :
« Puisque c’est ainsi, je pars vivre seul ! Vous ne me reverrez plus jamais! » et claqua la porte.
Resté seul avec Kakoudelle en pleurs, je tentais de la rassurer en lui assurant sans trop y croire qu’il se calmerait bientôt… Elle me confia que c’était la première fois qu’elle levait la main sur lui, que c’était un grand déshonneur pour un nain d’être frappé par une femme, mais qu’elle ne pouvait pas le laisser insulter la moitié de sa propre famille ainsi qu’un hôte de marque. Elle me fit part de ses craintes quant à la survie de son jeune fils dans la nature et me demanda de le suivre de loin afin de lui porter assistance si le besoin s’en faisait sentir. C’est ce moment que choisirent les gardes personnels du grand Barr Finn Oakenshield pour se saisir de moi et me traîner jusqu’à la porte du krak…
Hum… je vois que vous êtes lasse ma Dame… il est fort inconvenant de ma part de vous tenir éveillée ainsi au beau milieu de la nuit. Mais je n’en ai plus pour longtemps et je ne suis pas sûr d’arriver une fois encore à me faufiler en ces lieux sans éveiller l’attention. Avec votre permission, je continue donc mon récit :
Quelque peu secoué et endolori, je récupérais mes esprits devant la forteresse naine. Suivre ce petit enfant gâté de Karakounet ne m’enchantait guère, mais je ne pouvais m’y dérober… Je pensais me présenter à lui en sauveur alors qu’il aurait à affronter son premier danger, son désespoir ou la faim tout simplement. La suite me prouva que je me trompais complètement sur son compte. Sa force de caractère hors du commun lui permit de surmonter les première épreuves, et c’est avec beaucoup de curiosité que, par la suite, je suivais les agissements du petit bonhomme. Il parvenait sans trop de peine à tirer sa subsistance de la nature, et fut-ce à cause de ce changement de vie, son corps se mit à se renforcer. Ses joues se couvrirent même du duvet qui lui avait tant fait défaut quelques mois plus tôt. Il devint un grand chasseur de monstres, sa barbe s’allongea et ses bras se renforcèrent encore. En quelques années son corps avait tellement changé, qu’il aurait pu en imposer à la plupart des nains du krak. D’autant plus que de sa mère, il avait hérité d’une haute taille pour un nain. Il pris ensuite un nom seyant plus à sa nouvelle stature* et s’embarqua pour l’archipel où nous nous trouvons. Il y devint un des plus grands chef de guerre que ces terres aient porté.
J’attendais le moment où n’ayant plus rien à se prouver, il déciderait de rentrer en les terres du milieu pour y montrer qui il était devenu, et enfin voir dans les yeux de son père, l’étincelle de fierté qui lui faisait tant défaut, mais c’est lors d’une de ses habituelles altercations avec une dame Elfe qui se termina plus mal que de coutume que je compris qu’il ne connaîtrait jamais la paix… Cette attitude que je prenais pour une culturelle phallocratie naine avait des racines bien plus profondes. La douce Kakoudelle voulant préserver l’image du grand Barr finn aux yeux de son fils avait par son maladroit mais pieux mensonge faussé la juste perception des choses de son fils. La gifle qu’elle lui avait de plus assénée avait rajouté un caractère traumatisant au malentendu.
Il s’en suit aujourd’hui que notre nain éprouve une véritable haine envers les dames Elfes détenant une quelconque autorité sur sa personne. Aussi votre position politique vous exposant à ses foudres je tenais à vous mettre en garde. Peut-être serait-il plus judicieux de rendre hommage à sa longue barbe et à ses talents de guerrier que de vous y confronter. Et pourquoi ne pas le prendre maternellement dans vos bras … (HRP : et pis aussi un gros poutou sur son vilain nez J)
Ayant terminé son récit, et la ravissante Dame Perle restant songeuse, l’Elfe masqué se retira de sa chambre et disparut dans l’ombre du couloir…
*Karikiki
Sujet: L'Elfe masqué conte l'histoire de Karakounet à Dame perle 
Mar 23 Juin - 2:09
