Le vieux chaman orc esquissa un sourire en apercevant enfin les huttes de la tribu des Zieurouch’ en contrebas dans la vallée.
Des années de périple, de longues marches, toutes ces privations, ces questions sans réponse, ces nuits entières passées en transe sous l’effet de drogues… Et peut être enfin, l’issue, le bout du chemin, la fin de la quête…
Son sourire disparu dans la seconde quand il réalisa combien cette tribu semblait insignifiante. Les masures étaient peu nombreuses et bien peu de trophées de guerre ornaient le totem de Bigmandall’, le dieu orc de la baston.
Ce n’était pas de bonne augure.
Venir chercher le futur Plus’Boss-que-les-aut’ dans un hameau miteux où Bigmandall’, le plus violent des trois jumeaux célestes du panthéon primitif orc, était honoré comme un snot’, c’était pas bon signe… Ça non.
Pourtant nulle erreur était possible, les visions et les indications des deux autres frères divins, Schlika Schlika, le dieu orc de la fornication et de Groumph, dieu orc du manger, l’avait mené ici en cet instant précis.
Mais le vieux chaman savait aussi que si les dieux sont capricieux en général, les trois dieux frères orcs, en particulier, sont encore pire.
Le Triorc, puisque s’est ainsi que l’on nommait la divine triade orque, avait la réputation d’agir sans motif ni logique.
Les trois frères de la mythologie orque faisaient passer Slaars pour un gentil petit elfe raisonné et bien éduqué. Alors à quoi bon chercher à comprendre leurs desseins…
S’appuyant sur la longue racine noueuse qui lui servait de bâton chamanique, il descendit vers le misérable trou à snot’ qui servait peut être de berceau à l’élu de la race orque.
Arrivé à distance raisonnable de l’entrée du campement, il s’arrêta et attendit que les membres de la tribu le remarquent. Une « distance raisonnable » signifiait hors de portée de tous projectiles susceptible d’être lancer par un orc, voire même par un troll.
Plus d’un émissaire avait fini criblé de flèches ou écrasé sous un rocher expédiés avec un peu trop d’enthousiasme par des gardes au cerveau étroit et à la vue limitée.
Il en était ainsi avec les Peaux-vertes.
Le chaman soupira. Avec les siens il fallait toujours agir en gardant à l’esprit ce trait de caractère, typique de son peuple.
Il patienta paisiblement jusqu’à ce que les Zieurouch’ se lassent de lui hurler des insanités en agitant leur armes. L’un d’eux finit pas avancer, un grand costaud, armuré jusqu’aux oreilles. Sûrement le Boss de la tribu. Il était suivi par un orc plus petit, un gringalet tout voûté au regard de dément.
Chez les orcs, les faibles et les aliénés n’ont pas leur place. Ils sont éliminés dès le moindre signe d’infirmité ou de folie.
La présence de celui-ci au cotés d’un chef ne peut signifier qu’une chose : Il s’agit d’un chaman.
Ces derniers sont acceptés et acquièrent leur statut de sorcier tribal quelque soient leurs handicaps, du moment qu’ils maîtrisent les énergies magiques et qu’ils communiquent avec le Triorc.
Ou plus exactement, du moment qu’ils survivent à la vindicte ignorante des autres orcs plus forts, qu’ils ne se fassent pas exploser en tentant de dominer leurs dons magiques et qu’ils ne finissent pas assassinés par le chaman déjà en place dans la tribu…
La vie d’un orc peut être brutale et courte, et ce avant même qu’il ne quitte sa hutte.
Les deux Zieurouch’ s’arrêtèrent à portée de voix. Le plus balaise des deux, le Boss, prit la parole :
- Moi suis Zarklan Boss des Zieurouch’…Qui toi être ?
Le vieux chaman prit sa voix la plus impressionnante et redressa sa carcasse en levant son bâton au-dessus de sa tête.
- Moi être Uzgull de la tribu des Zéclat’tronch’.
L’autre chaman, le gringalet, murmura quelque chose à l’oreille de son Boss, celui-ci acquiesça de la tête et parla à l’intention de l’étranger :
- Zéclat’tronch être loin, très loin au nord. Toi perdu ? Toi chassé par chaman plus jeune ???
Uzgull éclata de rire. Un rire aussi fracassant et spontané qu’une avalanche de rocaille :
- Personne pouvoir chasser Uzgull de sa tribu. Non, moi être à la recherche d’un orc. Moi être à la recherche du Plus’Boss-que-les-aut’.
A ces mots, le chef et le chaman des Zieurouch’ se lancèrent un regard inquiet.
De nombreux « prophètes » Peaux-vertes se jetaient sur les chemins et allaient de tribus en campements en prétendant avoir eu une vision de l’avènement de l’élu, du Boss ultime, l’Orc suprême qui fédérera les tribus et donnera sa vraie place à la nation orque, le Plus’Boss-que-les-aut’…
Le problème c’est que ce genre d’illuminé ne faisaient que semer le trouble au sein des tribus qu’ils visitaient, et ça c’était dans le meilleur des cas. Ils étaient tout autant capable de déclencher des guerres d’une simple phrase, juste histoire de jauger les capacités de leur prétendu élu ou, soi-disant, pour servir les obscurs desseins du Triorc.
Non pas que le Boss n’aime pas une bonne baston. Tous les orcs aiment la guerre. Mais ils l’apprécient quand il s’agit d’une guerre bien préparée, avec des troupes motivées, bien équipées et surtout victorieuses.
Non ce genre d’individu n’apportaient rien de bon en général, que des soucis et des grognements.
Voyant que son Boss hésitait à répondre, le chaman des Zieurouch’ prit la parole :
- Moi être Craock ! Moi pas vouloir de toi ici, toi partir, maintenant !
Surpris par la réplique de son chaman, Zarklan se tourna vers l’étranger :
- Si Craock pas vouloir de toi, moi te dire oust ! Ou moi te couper en deux.
Le vieux chaman secoua la tête de dépit :
- Craock se taire, moi être en mission pour Dieux Frères, moi agir selon volontés du Triorc. Eux dire venir ici et moi venir. Moi obéir, et vous aussi !
Le gringalet cracha par terre et s’avança menaçant :
- Moi parler souvent avec Bigmandall’, Groumph et Schlika Schlika. Eux jamais dire à moi Plus’Boss-que-les-aut’ être ici.
A l’énoncé des trois dieux frères orcs, Uzgull releva la tête et plongea son regard dans celui de Craock.
- Toi ? Toi, parler avec Dieux Frères ? Le vieux chaman éclata de nouveau de rire. Si Groumph chiait sur tête à toi, toi même pas t’en apercevoir.. Alors parler avec lui….
...Les yeux de Craock se mirent à luire d’un puissant éclat rouge tandis qu’il levait les bras vers son rival.
Uzgull montra ses crocs et tint son bâton devant lui, comme un avertissement, comme une limite à ne pas franchir. Ses yeux luirent à leur tour, et bien plus intensément que ceux de Craock
Prudemment le Boss des Zieurouch’ fit quelques pas de cotés, il était plus à l’aise avec son hachoir qu’avec la magie chamanique.
Les deux sorciers restèrent quelques secondes immobile, tendu, prêts à déclencher le feu et la mort. Puis Craock ferma les yeux et lentement baissa les bras. Il attendit plusieurs secondes avant de déclarer :
- heum…Bigmandall’ parler à moi. Et .. hum..Lui d’accord avec présence Uzgull. Toi bienvenu.
Uzgull baissa à son tour son bâton et afficha un sourire triomphant et quelque peu narquois.
- Bigmandall’ parler à toi ? Maintenant ? Lui tomber à pic, pour sauver carcasse à Craock…
Le chaman des Zieurouch’ fit semblant de ne pas avoir entendu la dernière remarque du vieux sorcier, et il évita de croiser le regard interrogateur de son Boss.
- Oui lui souvent faire ça ! Dit il d’un ton négligé. Allez toi venir, toi avoir faim, nous honorer Groumph pour fêter visite Uzgull.
Les trois orcs s’avancèrent vers l’entrée du village. Zarklan donna des instructions pour que soit préparé un banquet pour célébrer la présence du vieux chaman.
En attendant les préparatifs, Uzgull exigea de visiter toutes les huttes où des femelles de la tribu avaient enfanté depuis l’hiver dernier.
Dans chacune d’elle il invoqua l’esprit de Schlika Schlika, le Dieu orc de la fornication, fonction vitale pour la perpétuation de la race. Dans la troisième il eut enfin la vision qui lui confirma ses espoirs.
La femelle orc qui avait mis bas ici, avait été visité par le Triorc durant l’accouplement. Le fruit de ses entrailles était béni et nul doute qu’il deviendrait le Plus’Boss-que-les-aut’.
Tout à son excitation il fit part de ses révélations à Zarklan et Craock, et ces derniers, après avoir échangé un regard empreint de fierté et d’exaltation, lui demandèrent s’il souhaitait voir le jeune orc en question.
Uzgull bondi hors de la hutte tournant son regard partout dans le village comme s’il s’attendait à voir surgir devant lui le jeune mâle à la destinée extraordinaire.
Enfin le peuple orc allait avoir un chef, un vrai chef, un Boss. Un leader qui présiderait à la destinée de tous les Peaux-vertes. Un fier guerrier qui éliminerait ses adversaires d’un simple revers de lame et obtiendrait la soumissions des autres…
Uzgull, exalté, se tourna vers ses hôtes, qui venaient à leur tour de sortir de la hutte :
- Oui, moi vouloir le voir. Amener jeune Plus’Boss-que-les-aut’ à Uzgull. Moi vouloir voir fruit du Triorc ! Après, moi, glorifier Dieux. Moi dévorer repas comme dix trolls pour honorer Groumph, puis moi vouloir belle baston pour célébrer Bigmandall’ et finir fête avec femelles pour fêter Schlika Schlika. Ce soir être grand soir… Ce soir être le début de l’age des Orcs !